Quatre pièces qui illustrent la variété de la production des grès de la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers : deux vases de René Jeandelle, en 1905, représentant la danseuse Loïe Fuller, égérie de l’Art Nouveau, émergeant de ses voiles virevoltant ; de la même époque, un bock, dont la forme simple, est revêtue d’émaux verts et violets aux reflets changeants ; plus tardive, en 1920, une cruche à reflets métalliques, dont la silhouette hésite entre le végétal pour la panse et l’animal pour le bec verseur ; enfin une élégante aiguière à reflets métalliques, épurée tant dans sa forme que dans son décor, modèle créé en 1905, mais dont la production est sans doute datée des années 1950.
La Société Anonyme des Produits Céramiques de Jeanménil-Rambervillers (S.A.P.C.J.R)
La Société anonyme des Produits Céramiques de Jeanménil-Rambervillers est fondée en 1885 à Rambervillers par Edouard Jacquot. Les argiles de Jeanménil et de Saint-Goron, près de Rambervillers, étant particulièrement adaptées à la fabrication du grès, l’industriel y installe une usine de fabrication de grès vernissés et profite de la mise en service de la ligne de chemin de fer Guebwiller-Bruyères qui facilite le transport de ses marchandises. La production de la S.A.P.C.J.R. est importante et variée et comprend les tuyaux en grès salé pour égouts et conduites d’eau et toutes les pièces accessoires nécessaires à leur pose, mais aussi, balustres, frises, cabochons, bordures de jardin, briques pour papeteries, carreaux et pavés, tuyaux réfractaires pour cheminées, etc.
Jean Baptiste Alphonse Cytère (1861-1941). Buste réalisé par Joseph Mougin en 1899, signé et dédicacé : « à mon ami, juin 1899 ».
Le stand de la S.A.P.C. de Rambervillers dans le bâtiment de l’Ecole de Nancy, à l’Exposition internationale de l’Est de la France à Nancy en 1909.
Ateliers de fabrication des grès artistiques de la S.A.P.C. de Rambervillers, avec au centre, Alphonse Cytère, un dessin à la main, en 1910.
Une salle de l’usine de la S.A.P.C. de Rambervillers où sont exposés les grès artistiques. Parmi les modèles, beaucoup sont dus à des membres de l’Ecole de Nancy, mais aussi à d’autres artistes.
Jean Baptiste Alphonse Cytère et la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers (S.A.P.C.R.)
A la suite du départ d’Edouard Jacquot en 1891, l’ingénieur céramiste Jean Baptiste Alphonse Cytère devient en 1892, l’administrateur et le directeur de la nouvelle Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers. Tout en augmentant et perfectionnant la fabrication des grès salés, qui sont le principal contingent de ses produits, Cytère diversifie sa production avec des grès décoratifs pour cheminées et poêles.
Lors de l’Exposition Universelle de 1900 à Paris, il est enthousiasmé par les grès artistiques à reflets métalliques et décide d’ajouter à sa production, une collection de grès d’art. Il prend contact avec des artistes pour la création de modèles, notamment des membres de l’Ecole de Nancy. De son côté, il met au point des émaux flammés ou cristallisés de grand feu et des émaux à reflets métalliques, qui vont devenir la marque de fabrique de cette production de grès (1). En 1903, il participe à l’exposition organisée par les Amis des Arts de Nancy, où ses œuvres font grande impression, tant pour leurs formes que pour leurs émaux. Fort de cette réussite, il installe au cours de l’année 1904, au sein de l’usine, un atelier de fabrication « industrielle » équipé de six fours spéciaux pour ses grès artistiques (2). La commercialisation commence dès l’année suivante, en 1905, avec l’édition d’un premier catalogue, suivi de deux additifs en 1906 et 1907.
Mais le succès vient surtout lors de l’Exposition internationale de l’Est de la France, qui s’est tenue à Nancy de mai à octobre 1909, où un espace d’exposition est réservé dans le bâtiment de l’Ecole de Nancy, à la S.A.P.C.R., qui obtient un diplôme d’honneur (3).
La société prospère jusqu’en 1914, puis la production s’interrompt pendant la Grande Guerre, l’usine étant en territoire occupé, pour ne reprendre qu’en 1918. Cytère est rejoint à la direction de l’usine, par son fils cadet, Marie Alfred André Cytère, ingénieur chimiste. Ensemble, ils vont conduire des recherches pour perfectionner la méthode de décor des grès par cristallisation et expérimenter l’émaillage au pinceau (4). Cytère renouvelle ses modèles avec notamment la collaboration du sculpteur et peintre animalier Charles Virion et édite deux nouveaux catalogues, en 1920 et 1931, dans lesquels l’expression de l’Art Nouveau cède la place à celle de l’Art Déco (5). L’activité cesse presque totalement avec la crise des années 1930 et Cytère quitte la S.A.P.C.R. après 1938.
Vase Fougères en grès flammé à reflets métalliques de Jacques Grüber pour la S.A.P.C. de Rambervillers, présenté en 1904 lors de l’Exposition d’Art Décoratif de Nancy. Ce thème de la fougère est emblématique des productions de l’Ecole de Nancy, utilisé également par Gallé et Majorelle dans leurs ébénisteries. Grüber adapte le motif végétal de cette fougère naissante en la faisant participer au rythme de l’objet, fusionnant ainsi la forme et le décor.
L’Ecole de Nancy (1894-1914)
L’École de Nancy, ou Alliance Provinciale des Industries d’Art, est officiellement créée en 1901, même si elle existe déjà depuis plusieurs années. Son premier président, Émile Gallé (1846-1904) en a rédigé les statuts, de même que la lettre d’accompagnement et l’avant-propos, qui détaillent les objectifs de l’École de Nancy pour promouvoir les arts décoratifs et industriels lorrains. Certains artistes ayant donné des modèles à Alphonse Cytère sont membres de cette école : René Jeandelle (1883-1935), Pierre Roger Claudin (1877-1936), Jacques Grüber (1870-1936), Louis Majorelle (1859-1926), Paul Nicolas (1875-1952). Cytère n’est pas membre du Comité directeur de l’École, mais il adhère à ses principes et contribue à ses efforts pédagogiques avec notamment la création en 1906, d’un concours École de Nancy destiné à de jeunes créateurs dont les pièces sont par la suite éditées par sa manufacture. L’exposition internationale de 1909 à Nancy, qui est un grand succès, est cependant la dernière manifestation collective des membres de l’Ecole, qui poursuivront leurs carrières séparément.
Charles Catteau (1880-1966)
Charles Catteau est né en 1880 à Douai, dans le nord de la France, d’un père belge et d’une mère française. Il suit une formation d’ingénieur céramiste à la Manufacture nationale de Sèvres, où il travaille à l’atelier décoration pendant deux ans. En 1904, il rejoint la Königliche Porzellan Manufaktur de Nymphenburg, près de Munich, en Allemagne.
À l’initiative de l’artiste-peintre et mécène Anna Boch, il est engagé en 1906 chez Boch Frères, à La Louvière en Belgique, à l’atelier de décoration des faïenceries Keramis, qu’il baptisera plus tard « atelier de fantaisie » et qu’il dirigera de 1907 jusqu’à sa retraite en 1946.
Après la Première Guerre mondiale, Charles Catteau y insuffle un véritable renouveau des formes et des décors, passant progressivement de l’Art Nouveau à l’Art Déco. Il y introduit également des innovations techniques, notamment la pâte « Kyoto » et le grès cérame qui devient son moyen d’expression favori. La nature inspire ses décors, faits de fleurs, de végétaux et d’animaux. L’artiste est aussi influencé par les grands courants artistiques de son époque, tels le japonisme, l’africanisme ou l’avant-gardisme russe et allemand, le cubisme, qui le conduisent vers une stylisation de plus en plus marquée.
La participation à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes en 1925 à Paris, est une consécration, tant pour Catteau que pour Keramis, le céramiste y obtenant un Grand Prix pour ses grès. Commencent alors les années les plus fructueuses de sa carrière, celles où apparaissent les formes et les motifs Art Déco les plus caractéristiques, avec notamment des décors faits d’animaux stylisés le plus souvent en mouvement.
Le service à bière Houblon de Charles Catteau
C’est pendant la durée de son contrat à Nymphenburg, que Charles Catteau fournit à Alphonse Cytère, quelques modèles de style Art Nouveau, qui figurent au catalogue de S.A.P.C.R. de 1905, dont un vase Algues, un vase aux Ecrevisses, une jardinière aux Cygnes, ainsi que le service à bière Houblon.
Ce service se composait à l’origine, d’un plateau (6 kg), de six bocks (2 kg pour les six) et d’une cruche (1,6 kg), soit un poids total de presque
10 kg, les récipients étant vides. Il était donc certainement réservé à la décoration. Par la suite, le plateau, sans doute en raison de son poids, ne fut plus commercialisé et ne figure plus au catalogue de 1920 (6).
Le houblon est un motif végétal prisé par les artistes de l’Art Nouveau. En raison de sa légèreté et de sa souplesse, cette liane fleurie a été déclinée sur tous les supports : architecture, vitrail, mobilier, céramique, verrerie et bijoux. Il figure, avec l’orge, dans les décors intérieurs et sur les façades de plusieurs brasseries dans l’est de la France.
Charles Catteau a particulièrement réussi le traitement de ce motif dans ce service, en opérant la fusion entre la forme et le décor : la cruche et les bocks semblent jaillir d’une masse de houblons en flamme, dont les lianes, en retombant sur les calices, y dessinent des reliefs sinueux.
Le houblon
Le houblon (humulus lupulus), comme le chanvre et le cannabis, est une plante grimpante qui appartient à la famille des cannabinacées. Seuls les plants femelles sont cultivés et produisent des cônes ovoïdes qui secrètent une poudre jaune appelée, lupuline, riche en huiles aromatiques. Cette substance, utilisée en très petite quantité, donne à la bière son amertume et une partie de ses arômes.
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Vignette illustrant le service à bière Houblon dans le catalogue de la S.A.P.C. de Rambervillers de 1905, référencé sous le numéro 171.
Service à bière Houblon en grès flammé de Charles Catteau pour la S.A.P.C. de Rambervillers, composé d’une cruche et de six bocks, acquis par le Musée de la Terre de Rambervillers en 2020. Le mot « bock » vient du nom d’une bière brassée en Bavière et par extension, il sert aussi à désigner un verre à bière à anse, d’une contenance de 0.25 l.
La S.A.P.C. de Rambervillers après Alphonse Cytère
La production redémarre après la Seconde Guerre mondiale et la manufacture renoue avec le succès sous la direction de Georges Vasseur qui renouvelle les modèles en 1952, en ajoutant 93 nouvelles références et ne retenant que 44 des plus anciennes. Cependant l’effet flammé n’étant plus au goût du jour, les pièces produites ne conservent plus que les reflets métalliques. En 1957, il quitte l’entreprise et est remplacé par un industriel, Pierre Louis Maître, qui met fin à la production des canalisations en grès, mais poursuit celle des grès artistiques. Cependant, il échoue dans son projet et la manufacture cesse toute activité en décembre 1972.
Deux ans après sa fermeture, en 1974, Marcel Ferry, ferronnier d’art et antiquaire, découvre, sur l’ancien site de production historique des grès flammés de la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers, des moules à l’abandon, que les enfants cassent pour en faire de la craie. Lorsqu’il réalise que la plupart de ces moules sont signés par les plus grands noms de l’Art Nouveau Nancéien, il les sauve de la destruction et décide de se former à la technique du grès. Il ouvre alors un atelier artisanal, L’Atelier des grès flammés, en réutilisant trois anciens fours électriques. Sa petite fille, céramiste de formation, Julie Bernaudin, lui succède à l’Atelier en 2010, mais cesse son activité en 2016.
Marcel Ferry, âgé de plus 80 ans, reprend alors la production, rééditant des pièces à partir des moules anciens et créant également de nouveaux modèles. En l’attente d’un successeur, il perpétue la fabrication des grès flammés, patrimoine de Rambervillers.
Marcel Ferry tenant dans sa main la terre de Jeanménil qui sert à la fabrication des grès de Rambervillers.
L’atelier de Marcel Ferry à Rambervillers, où sont conservés les moules de la S.A.P.C. de Rambervillers, sauvés de la destruction.
Le Musée de la Terre de Rambervillers organise régulièrement des expositions consacrées aux grès flammés d’Alphonse Cytère.
Notes
- Cette création d’un « studio » de recherche artistique au sein d’une production industrielle de céramiques, n’est pas un cas unique. Louis Lourioux à Foëcy et de Lucien Brisdoux à Bonny-sur-Loire ont également créé des ateliers similaires au sein de leurs usines.
- « La haute température à laquelle s’opère leur cuisson a permis de les couvrir de colorations splendides. En utilisant avec un art délicat et subtil divers oxydes de fer, de plomb, de zinc, de cobalt, de cuivre, d’argent, de chrome, de manganèse, d’étain, M. Cytère a produit des glaçures où se marient les jeux les plus chatoyants et les plus riches de la lumière : nacres aux irisations fuyantes, mordorures aux reflets profonds, efflorescences étoilées des cristallisations, matités éteintes des vieilles orfèvreries, fouillis luxurieux des délicates végétations, marbrures brutales des coups de flamme ». Ed. Thiolère, Monographie de la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers (Vosges), Bulletin de la Société de l’Est, Nancy, 1906.
- « A côté des travaux d’art des frères Mougin à Nancy, il faut signaler aussi les grès flammés à reflets métalliques et émaux cristallisés de M. Alphonse Cytère de Rambervillers. Ces vases, à fougères, à ombelles, à clématites, à caméléon, à pâquerettes, à noisettes, à sauterelles et à chimères sont, à juste titre, loués comme d’admirables grès flammés ». Emile Badel, Le Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition, L’Immeuble et la construction dans l’Est, 19 septembre 1909.
- Extrait d’un intéressant reportage datant de 1922 sur les fleurons de l’industrie vosgienne, détaillant l’histoire et les méthodes de fabrication des grès d’Alphonse Cytère : « La Céramique de Rambervillers : La vallée de la Mortagne possède une richesse naturelle de tout premier ordre : une argile à grès d’une rare pureté que l’on extrait notamment des carrières de Jeanménil et de Saint-Gorgon. Cette terre précieuse fut longtemps ignorée et c’est en 1861 seulement que, devant ses qualités, qui la placent, d’après M. Vogt de Sèvres, au tout premier rang des argiles à grès, prit naissance à Rambervillers l’industrie du grès cérame. Une société se forma, la Société anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers, créée spécialement pour fabriquer des tuyaux de conduites. Cette société connut bien des vicissitudes et ce ne fut qu’à l’arrivée de M. Cytère, en 1892, qu’elle prit son plein développement. M. Cytère dirige encore aujourd’hui cette vaste entreprise dont les bâtiments s’élèvent à proximité de la gare de Rambervillers. C’est à lui que nous nous sommes adressés, après avoir franchi la porte que gardent deux superbes lions en grès flammé, dont les émaux bariolés brillent au soleil. Avec une bonne grâce charmante, le directeur de l’usine de Céramique, qui est à la fois un industriel avisé et un artiste délicat, nous invita à visiter son entreprise à laquelle il adjoignit en 1904, une fabrication nouvelle qui la range dans le domaine de l’art céramique. La fabrication des tuyaux : La terre à grès de Jeanménil retirée des carrières à ciel ouvert est amenée directement à l’usine où on l’emploie sans aucune préparation. Cette terre est en effet d’une pureté telle et d’un grain si fin qu’elle ne nécessite aucune manipulation avant d’être convertie en produits industriels comme les tuyaux ou même en objets d’art comme les biscuits ou les grès flammés. Brassée à la pelle, l’argile destinée à la fabrication des tuyaux reçoit cependant une certaine proportion d’argile ferrugineuse de teinte rougeâtre, alors que l’argile pure est d’un blanc grisâtre. Ceci uniquement pour utiliser toute l’extraction des carrières. La pâte ainsi formée, d’une composition très uniforme, est conduite dans un broyeur à cylindre très simple d’où elle sort sous forme d’un long tapis de quelques centimètres d’épaisseur. Cette bande continue arrive dans un malaxeur constitué par un arbre sur lequel sont fixés de larges couteaux d’acier. La terre ainsi broyée est poussée dans un conduit de section carré d’où elle sort sous la forme d’une grosse règle que l’on découpe comme un vulgaire pain de beurre. Ces galettes sont ensuite placées dans un moule où deux cylindres tournant en sens inverse compriment la terre et l’obligent à s’engager dans un moule de diamètre variable qui lui donne la forme et la longueur du tuyau. Ces tuyaux, très malléables, sont coupés à la longueur voulue, puis rangés par taille dans une longue galerie, le séchoir, où règne en permanence une douche chaleur. Au bout d’un certain temps, la terre se durcit et lorsqu’elle arrive au degré de dessication suffisante, on procède à la cuisson. Celle-ci s’effectue dans de grands fours cylindriques construits en moellons, cerclés de fer et revêtus à l’intérieur d’un manchon en briques réfractaires. Ces fours ont une contenance de 80 à 85 mètres cubes et peuvent recevoir environ 20 tonnes de produits à cuire. Primitivement, le chauffage était obtenu par des rampes à gaz, mais, depuis 1900, on se sert de la houille. D’énormes foyers sont aménagés sous les fours et chargés continuellement. Il faut, en effet, environ huit tonnes de combustible pour une cuisson, car la température à obtenir à l’intérieur doit atteindre 1 250 degrés. Six fours de ce modèle sont actuellement en service pour la cuisson des tuyaux ; ils ne chôment jamais ; pendant qu’on chauffe le premier, un second est en cuisson, d’autres sont en voie de refroidissement et le dernier est détourné. Et ce cycle se continue indéfiniment. Les tuyaux ont, après cuisson, une couleur brune rougeâtre, très brillante et rendent un son métallique lorsqu’on les frappe. On en fabrique de tous calibres, depuis 4 centimètres jusqu’à 50 centimètres de diamètre intérieur. Leur résistance est aussi très grande. C’est ainsi, par exemple, qu’un tuyau de 5 centimètres résiste à une pression intérieure de 35 kilos. Les raccords et les tubes de distribution sont moulés dans des formes de plâtre et cuits de la même manière. Les grès artistiques : Mais à côté de cette fabrication industrielle, les Etablissements de Rambervillers ont ajouté une nouvelle branche d’activité qui relève directement de l’art. En 1904, en effet, M. Cytère, devant la pureté des terres de Jeanménil, pensait que celles-ci pouvaient être employées à d’autres usages qu’à une fabrication purement commerciale. Artiste d’un goût très sûr qui longtemps fit partie de cette remarquable école de Nancy, le directeur des Etablissements céramiques orienta son activité vers la production d’œuvres charmantes qui, rapidement sous le nom de « Grès flammés de Rambervillers » devait obtenir une réputation mondiale. Ses envois à l’exposition de Nancy en 1910 furent une véritable révélation et à l’époque, le journal « La Céramique », sous la signature du professeur G. Winter, publia une intéressante et élogieuse étude sur les grès artistiques de Rambervillers. Mais ce résultat ne s’obtint pas sans peine et M. Cytère nous a rappelé avec émotions ses débuts difficiles. Jamais, cependant, il ne se découragea et le jour vint où il eut enfin la joie de voir sortir de ses modestes fours d’expériences un de ces vases gracieux aux couleurs merveilleusement harmonisées et qui semblent être le reflet fugitif de la flamme elle-même. […] Aujourd’hui, les difficultés sont vaincues et si, comme nous le disait M. Cytère, il n’est pas encore le maître absolu du feu, il sait cependant utiliser ses caprices. Mais son activité débordante ne s’arrête pas aux résultats acquis. Secondé par son fils, il cherche sans cesse à perfectionner son art. Lorsqu’il eut trouvé sa formule, M. Cytère, qui voulut associer ses découvertes à la prospérité de son industrie, sut allier heureusement l’art au commerce. C’est ainsi qu’à côté d’objet purement décoratifs, vases, bibelots et statuettes, les Etablissements de Rambervillers produisent en grès flammés des briques, cabochons, frises, bandeaux, motifs de cheminées, qui sont heureusement employés pour la décoration intérieure ou extérieure des bâtiments. Ces grès sont d’ailleurs absolument inaltérables aux intempéries et il semble même, nous avons pu en juger, que les variations atmosphériques avivent encore leurs chatoyantes couleurs. Tous ces produits peuvent être fabriqués en grès naturels ou en grès émaillés […]. Les grès flammés : La fabrication des objets d’art et des motifs décoratifs est particulièrement intéressante. La terre utilisée est la même que celle qui entre dans la fabrication des tuyaux. Nous avons dit d’ailleurs ses qualités de finesse et de pureté vraiment exceptionnelles. Deux procédés sont employés suivant la nature des objets à obtenir. S’il s’agit de vase par exemple, on utilise le procédé du coulage, alors que pour les bibelots d’une certaine importance, c’est le procédé par estampage qui est adopté. La méthode du coulage est fort simple, mais encore fallait-il la trouver. On utilise un moule en plâtre très sec, généralement formé de trois parties : un fond et deux côtés. Dans la cavité intérieure, l’ouvrier laisse couler l’argile préalablement délayée dans de l’eau et qui forme ainsi une sorte de barbotine semi-fluide. Le moule rempli, un curieux phénomène se produit. Le plâtre très sec aspire l’eau et entraîne en même temps une certaine quantité d’argile qui vient se coller et se solidifier aux parois intérieures du moule. Comme celui-ci a une épaisseur constante, le dépôt se fait régulièrement. Au bout d’un temps déterminé, le moule est vidé et le vase se trouve formé pour ainsi dire automatiquement. Les anses ou les ornements supplémentaires sont ajoutés par un simple collage pour lequel on emploie une crème d’argile très liquide. On procède ensuite au polissage et à l’enlèvement des bavures. Le procédé par estampage consiste à appliquer sur les divers morceaux d’un moule de plâtre, la pâte argileuse qui en épouse toutes formes. Grâce à la finesse de la terre, aucun détail n’est noyé et l’on peut ainsi reproduire avec une exactitude rigoureuse tous les sujets. Chacune des pièces constitutives est assemblée à sa voisine ; l’ensemble est poli, ébarbé et forme un tout absolument homogène. Les objets ainsi obtenus reçoivent après séchage une première cuisson. La décoration : Le grès, sous l’influence du premier feu, est devenu solide et sonore. Il peut rester à cet état de biscuit ou être revêtu d’émail. Dans ce deuxième cas, on vaporise sur le bibelot une solution composée d’une pâte de verre dans laquelle se trouvent en suspension des oxydes métalliques de couleurs différentes que l’on peut étendre aussi au pinceau. Cette préparation faite, l’objet est placé à nouveau dans un four chauffé à haute température. Ces fours de modèle plus réduits que ceux qui servent à la fabrication des tuyaux sont sensiblement construits de la même manière. Les gaz qui se produisent à l’intérieur peuvent avoir des propriétés oxydantes ou réductrices qui agissent sur les oxydes métalliques et font éclater, varier ou ternir la couleur. En fin d’opération, la flamme libérée vient elle-même lécher les objets et parachève l’œuvre des gaz. C’est d’ailleurs ce mélange de gaz oxydants et réducteurs agissant sur un même oxyde qui produisent ces harmonieux mélanges de couleurs qui font le charme des grès flammés. Les grès cristallisés : Depuis quelque temps, poursuivant leurs recherches, MM. Cytère père et fils se sont livrés à de nouvelles expériences pour obtenir sur leurs objets des cristallisations qui augmentent la puissance décorative de la couleur. Grâce à des émaux spéciaux, ils sont arrivés à fixer des dessins d’une grande finesse et d’une variété infinie qui se présentent sous forme de cristaux analogues à ceux que le givre dépose sur des vitres. Ils ont également essayé l’émaillage au pinceau et nous avons vu de fort jolies pièces. […] ». François Blaudez, Nos industries régionales, Les grès artistiques de Rambervillers, L’Express de l’Est, 25 novembre 1922
- Les catalogues édités par Alphonse Cytère entre 1905 et 1931 recensent environ 582 références, dont vases, bonbonnières, presse-papier, encriers, cendriers, jardinières, aiguières…, avec pour chacune la possibilité de choisir et de combiner différentes finitions : grès naturels, grès au sel, émaux de grand feu mats, demi-mats ou brillants, cristallisés, métalliques demi-mats ou brillants.
- Informations recueillies sur le site de Nicolas Baton : grès.rambervillers.free.fr. Un service à bière Houblon de Charles Catteau, avec un plateau, une cruche et quatre bocks est conservé au Musée français de la brasserie à Saint-Nicolas-de-Port.
Références
- Ed. Thiolère, Monographie de la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers (Vosges), Bulletin de la Société de l’Est, Nancy, 1906
- Emile Badel, Le Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition, L’Immeuble et la construction dans l’Est, 19 septembre 1909
- Léon Lefèvre. La Céramique, revue mensuelle illustrée : organe officiel de l’Union céramique et chaufournière de France, Supplément commercial et artistique de la Céramique, Tome II, janvier 1910, n°5.
- Revue générale de l’Exposition de Nancy, 1909, et palmarès de la section industrielle de l’Est… Publiée par les soins de la Société industrielle de l’Est, 1910
- François Blaudez, Nos industries régionales, Les grès artistiques de Rambervillers, L’Express de l’Est, 25 novembre 1922
- Francine Bertrand, Grès flammés de Rambervillers, Art Nouveau dans les Vosges, Musée départemental d’Art ancien et contemporain, Epinal, 1997
- Marie-Claude Ferry-Cuny, A Rambervillers, Sur le chemin de l’Ecole de Nancy, Les Grès d’Alphonse Cytère, Catalogue de l’exposition, Musée de la Terre de Rambervillers, 2009
- A consulter pour l’inventaire des pièces produites par la S.A.P.C.R., le site très documenté de Nicolas Baton : grès.rambervillers.free.fr.
- Catteau, donation Claire de Paw, Marcel Stal, Fondation Roi Baudouin, 2001, à télécharger via le site de la Fondation Roi Baudouin
- Deux reportages sur Marcel Ferry :
https://www.pausefun.com/fr/video/rambervillers-a-83-ans-marcel-ferry-est-toujours-au-four-et-a-la-forge/
https://epinalinfos.fr/2019/12/gres-flammes-revivent-a-rambervillers-grace-a-marcel-ferry/
Illustrations
Les grès flammés à reflets métalliques de la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers (S.A.P.C.R.)
Deux vases de René Jeandelle en grès flammé à reflets métalliques, référencés 059 et 060 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Vente Millon du 24 avril 2014.
Bock en grès flammé, référencé 192 au catalogue de la S.A.P.C. R. de 1905. Vente Millon du 6 mai 2008.
Cruche en grès flammé à reflets métalliques, référencée 094 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1920. Le Grand Chalet.
Aiguière en grès à reflets métalliques, référencée 067 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Le Grand Chalet.
La Société Anonyme des Produits Céramiques de Jeanménil-Rambervillers (S.A.P.C.J.R.)
Rambervillers, Usine Céramique. Carte postale.
Jean Baptiste Alphonse Cytère et la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers (S.A.P.C.R.)
Buste de Jean Baptiste Cytère en grès flammé à reflets métalliques. Don de Marguerite Cytère au Musée de la Terre de Rambervillers.
Stand de la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers, émaux à reflets métalliques et cristallisés sur grès cérames de Rambervillers, photographie Bellieni, Revue générale de l’Exposition de Nancy, 1909, et palmarès de la section industrielle de l’Est… Publié par les soins de la Société industrielle de l’Est. 1910.
Les grès artistiques de Rambervillers. Ateliers de fabrication. Au milieu : M. Cytère, un dessin à la main. Léon Lefèvre, La Céramique, revue mensuelle illustrée : organe officiel de l’Union céramique et chaufournière de France, Supplément commercial et artistique de la Céramique, Tome II, janvier 1910, n°5.
Rambervillers, Une Salle de l’Usine Céramique. Carte postale.
Lampe Algues en grès flammé à reflets métalliques de Jacques Grüber pour la S.A.P.C.R., référencé 142 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Vente SVV Marquis du 6 juillet 2019.
Vase Chimère en grès flammé de Pierre Roger Claudin pour la S.A.P.C.R., référencé 056 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Vente Auxerre Enchères du 6 septembre 2020.
Vase Ombelles en grès flammé à reflets métalliques de Jacques Grüber, référencé 009 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Vente Ivoire Troyes du 17 mai 2012.
L’Ecole de Nancy (1894-1914)
Vase Fougères en grès flammé à reflets métalliques de Jacques Grüber pour la S.A.P.C.R., référencé 010 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Musée de la Terre de Rambervillers.
Charles Catteau (1880-1966)
Charles Catteau. Archives de la ville de La Louvière.
Vase aux Ecrevisses en grès flammé de Charles Catteau pour la S.A.P.C.R., référencé 017 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Artcurial le 9 octobre 2018.
Le service à bière Houblon de Charles Catteau
Service à bière Houblon de Charles Catteau, vignette illustrant le catalogue de 1905 de la S.A.P.C.R. sous le numéro 171. Léon Lefèvre, La Céramique, revue mensuelle illustrée : organe officiel de l’Union céramique et chaufournière de France, Supplément commercial et artistique de la Céramique, Tome II, janvier 1910, n°5.
Service à bière Houblon de Charles Catteau pour la S.A.P.C.R, référencé 171 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Musée de la Terre de Rambervillers.
Bock Houblon en grès flammé de Charles Catteau pour la S.A.P.C.R, référencé 171 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Le Grand Chalet.
Bock Houblon en grès flammé à reflets métalliques de Charles Catteau pour la S.A.P.C.R, référencé 171 au catalogue de la S.A.P.C.R. de 1905. Le Grand Chalet.
La S.A.P.C. de Rambervillers après Alphonse Cytère
Marcel Ferry tenant dans sa main la terre de Jeanménil. Philippe Briqueleur, Vosges Matin, édition d’Epinal du 5 décembre 2019.
Durant toute cette semaine, Marcel Ferry propose au grand public de découvrir les coulisses de fabrication des grès flammés. Philippe Briqueleur, Vosges Matin, édition d’Epinal du 5 décembre 2019.
Marie Claude Ferry-Cuny, A Rambervillers, Sur le chemin de l’Ecole de Nancy, Les Grès d’Alphonse Cytère, Catalogue de l’exposition, Musée de la Terre de Rambervillers, 2009.
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